Général de Brigade Aérienne Georges LAPICHE (1920-1978)

Héros d’Indochine. Article de presse du 8 août 1954

Le Capitaine LAPICHE

Les hostilités en Indochine ont pris fin. Ce n’est pas une raison pour oublier ceux qui furent les Héros de l’Armée de l’Air en cette dure et douloureuse campagne et donnèrent tant de magnifiques exemples dont l’Aviation peut être fière. Le 24 juillet dernier, nous avons signalé en quelques lignes l'odyssée du Capitaine LAPICHE, remontant au 21 juin. Mais nous estimons que cela vaux mieux que ces quelques lignes. Rappelons que le Capitaine avait été envoyé en Indochine en mars 53 et qu'il avait reçu le commandement de l'Escadrille de Reconnaissance Outre Mer n°80 suite à la disparition de son chef, le Capitaine MOULIN, le 13 juin 1954.

COMMANDEMENT DE L’AIR EN EXTREME ORIENT

GROUPEMENT AERIEN TACTIQUE NORD. BASE AERIENNE TACTIQUE 190

ESCADRON DE RECONNAISSANCE OUTRE MER N°80

 Compte Rendu du Capitaine Georges LAPICHE, pilote de l’avion F.8.F N°95 198

Le 21 juin 1954, à 9H20, le capitaine LAPICHE décolle de Bach Maï à bord du Bearcat N°198, pour procéder à une reconnaissance à vue selon l'itinéraire suivant : remonter la R.C. 1 jusqu'à Langson avant de suivre la R.C. 4 jusqu'à Dong Dang, à partir de ce point extrême situé en bordure de la frontière avec la Chine, redescendre vers Thaï Nguyen en patrouillant au-dessus des R.P. 32 et 33, arrivé au croisement formé par la R.C. 3 et la P.C. 13 suivre cette dernière jusqu'à Dai Tu puis s'enfiler la vallée du Song Cong jusqu'à son débouché et revenir à Bach Maï au cap le plus direct. Pour cette mission tout à fait classique, le sous-lieutenant LOYER assure la fonction d'équipier. La première partie de la mission se déroule normalement. C'est au moment de remonter la vallée du Song Cong que se produit l'irréparable.

Dans son rapport, le capitaine LAPICHE retrace la suite des événements :

"Vers 11H15, arrivant à une altitude comprise entre 2 500 et 3 OOO pieds, à proximité de Dai Tu, j'observe de loin deux groupes de quatre alvéoles de 37 mm chacun, je ne remarque aucun départ de coups et les alvéoles me paraissent vides. Je les survole par une succession d'évolutions serrées. Mon opinion à leur sujet est confirmée. J'observe le secteur et effectue un virage sur la gauche pour emprunter la vallée du Song Cong. A la fin du virage, j'entends une forte explosion dans le moteur et simultanément l'avion accuse un choc violent. L'avion entier et surtout les capots moteurs sont soumis à des vibrations de très grande amplitude. "

Vu la violence de l'impact, le coup provient sans aucun doute d'une pièce de 37 mm
particulièrement bien camouflée. Immédiatement le pilote met le cap sur le delta tonkinois
et annonce à son équipier qu'il ne pourra certainement pas tenir l'air pendant très longtemps.
Pressentant une fin proche, l'équipier demande par radio l'envoi d'une patrouille de chasse
de protection. Pendant ce temps, le pilote du Bearcat en difficulté tente de reprendre le
contrôle de sa machine : "Effectuant un contrôle rapide de la cabine, je constate que les manettes des gaz et hélice sont toutes deux plein avant (position due, soit à l'inertie de mon bras au choc, soit à un geste instinctif de ma part), que la pression d'essence bat fortement aux environs de 25, que la manette de la richesse est pleine arrière. Je repousse la manette de richesse, réduis les gaz et le nombre de tours. Au bout d'une quarantaine de secondes, les fortes vibrations cessent et le moteur reprend un fonctionnement presque normal. J'annonce à mon équipier : ça va mieux, je vais peut-être pouvoir rentrer. Je regarde la température d'huile qui est momentanément stabilisée à 100. Pression non observée. Au bout de 20 à 30 secondes de fonctionnement normal, j'aperçois des fumées blanches à la sortie d'échappement droite, puis presque immédiatement après des flammes qui s'allongent rapidement. J'annonce que j'ai le feu au moteur et que je me prépare à sauter. "
Comme les flammes arrivent à la hauteur de la cabine, le capitaine LAPICHE n'hésite plus
un seul instant. Voulant l'annoncer à son équipier, le pilote constate que sa radio ne
fonctionne plus. Qu'importe, il faut immédiatement évacuer le Bearcat en feu. Il est tout juste
temps car le moteur cesse de fonctionner et l'avion risque de passer en perte de vitesse. Après
avoir réussi à quitter son Bearcat, le capitaine LAPICHE, accroché à son parachute, touche
rapidement le sol en ayant tout juste eu le temps d'entrevoir son avion percuter la terre.

Une fois à terre, le capitaine LAPICHE fait le point de la situation : "Arrivé au sol
indemne, je constate que la voilure de mon parachute déployée sur un arbre aura
certainement été identifiée par mon équipier. Je me trouve sur une pente de 45 degrés. La
végétation est composée de bambous très serrés dont les tiges courbées forment un genre
de treillage à environ quarante centimètres au-dessus du sol (bambous de fraîcheurs
diverses : verts, secs ou pourris) le tout parsemé d'arbres isolés ou en bouquets. Mon
premier souci est de signaler à mon équipier que je suis vivant. Après avoir abandonné mon
casque, déchiré mon bloc-notes et récupéré ma trousse de jungle, je fais une rapide
reconnaissance pour chercher un endroit d'où je pourrais faire des signaux avec l'héliographe."

Ayant repéré une zone relativement dégagée, le capitaine LAPICHE entreprend de la
rejoindre en progressant avec difficulté. Arrivé sur les lieux, le capitaine LAPICHE étend
sur le sol la toile de tente, face jaune visible, et entreprend de faire des signaux aux avions
qui évoluent dans le secteur. Il est immédiatement repéré. Le chef des opérations du
G.A.TAC Nord, le lieutenant-colonel de LOUSTAL, coordonne en personne les recherches
à bord d'un Bearcat. Prévenu, l'hélicoptère ne met pas longtemps pour rejoindre le site.

Afin de ne pas se fatiguer inutilement, le capitaine LAPICHE reste assis, espérant que la
petite clairière dans laquelle il se trouve, d'une vingtaine de mètres de diamètre est suffisante
pour permettre son hélitreuillage. Finalement l'attente est de relativement courte durée, puisque entre 12H15 et 12H30 l'hélicoptère se présente à la verticale du capitaine LAPICHE.
Estimant qu'une récupération n'est pas possible à cet endroit, le pilote de l'hélicoptère fait
comprendre au capitaine LAPICHE qu'il doit se déplacer plus au nord-ouest, selon un cap
approximatif de 330°, pour rejoindre une zone plus propice à son sauvetage.

Le capitaine LAPICHE qui a parfaitement compris la situation poursuit son récit :

"Je décide alors de descendre vers les régions plates. Cette décision comporte le risque
de rencontres indésirables et m'éloigne du delta, mais elle présente la seule chance de
trouver une D.Z. accessible à l'hélicoptère. Je progresse beaucoup plus rapidement et avec
une fatigue moindre en me laissant glisser sur le dos, les pieds en avant, sous le treillage
des bambous. J'arrive rapidement à un petit talweg encore humide de l'écoulement des
pluies récentes, l'empruntant j'arrive rapidement à un ruisseau puis à une rivière plus large.
L'eau étant claire et fraîche, je prends un premier bain très réconfortant, puis je consomme
quelques pâtes de fruits après avoir mis dissoudre une pastille de stérilisation dans une
gourde d'eau. Après un quart d'heure de pause je reprends ma progression continuant à
marcher dans le lit des rivières. A partir de ce moment-là, la pente est devenue plus faible
et j'ai commencé à trouver de petites pistes paraissant fréquentées.

Vers 14H15, apercevant une petite piste à pente très raide semblant conduire à une
éclaircie de la végétation, je l'emprunte et au bout d'une trentaine de mètres, j'arrive dans
une zone de culture (petits arbres d'une quarantaine de centimètres de haut constituant une
D.Z. idéale). J'étale la tente jaune, et je suis immédiatement repéré par un avion.
L'hélicoptère arrive trois ou quatre minutes plus tard et m'embarque. A bord se trouvaient
deux parachutistes chargés de me rechercher. Pour arriver à la D.Z., J'ai parcouru deux ou
trois cents mètres en zone de bambous et environ 1,5 à 2 km en progressant dans le lit des
ruisseaux et rivières. Ma progression s'est composée de deux branches au cap moyen de
330 ° séparées par une petite branche au cap moyen de 90°."

L'équipage de l'hélicoptère se compose du capitaine PILLIVUYT, premier pilote, du
sergent-chef CHERBLANC, copilote, du sergent-chef CHEVALIER, mécanicien, et du
sergent ROBERT, infirmier, ainsi que de deux parachutistes secouristes chargés de
secourir le pilote si celui-ci n'avait pu rejoindre la D.Z. par ses propres moyens.
Après une telle accumulation de pertes en moins de deux mois, il ne faut pas être
surpris par le fait que l'EROM 80 en soit sérieusement affectée puisqu'elle termine le mois
de juin 1954 n'ayant plus que sept avions en compte et six pilotes.

LETTRE ENVOYEE le 22 JUIN, à sa femme.

Ma petite Lina Chérie,

J’ai un pansement autour du pouce mais je pense que je réussirai quand même à t’écrire. Le toubib m’a donné des pilules pour dormir car j’avais des difficultés. Du coup, je me suis endormi, pendant plus d’une heure et demie, après manger. ....J’ai quelques boutons dans le cou, ce sont des bestioles qui m’ont piqué hier pendant ma sortie à la campagne. ...Je craignais bien que la nouvelle concernant Moulin allait te toucher, mais j’espère que tu ne t’es pas laissée abattre. Fais comme j’ai toujours pensé, que notre destin est déterminé d’avance. Tu vois, pendant ma mésaventure d’hier, j’ai eu quelques instants de découragement quand j’étais fatigué de « ripatonner » dans la jungle, mais ta pensée m’a toujours soutenu, et j’ai toujours eu l’idée que mon heure n’était pas venue et tu vois que j’ai eu raison. Alors, je t’en prie, ma chérie, ne te décourage pas, il faut que tu ais la foi comme moi. D’ailleurs, depuis l’accident de Moulin*, j’avais demandé et obtenu que nous fassions les missions à deux, l’utilité en a été déjà démontrée. Sinon, ils seraient encore en train de me chercher. Et d’ailleurs, nous allons prendre des précautions complémentaires. Bonnemaison, qui nous emploie, a dit que ce n’était pas le moment de prendre des risques alors qu’il semble que le gouvernement veuille obtenir la paix à tout prix. J’ai écrit à Lucienne (Moulin) pour lui donner des détails mais nous ne savons pas grand-chose. Nous connaissions la mission qu’il devait faire, il n’est pas rentré, les recherches ont été menées avec des moyens considérables mais n'ont donné aucun résultat. Il faut que tu sois calme pour le peu de temps qu’il me reste à faire. Je n’ai jamais désespéré et ce n’est pas maintenant que je vais le faire. Pense à notre réunion.

Je te quitte, ma chérie, en t’envoyant mes plus tendres baisers et caresses.

Embrasse les enfants pour moi. Ton mari qui t’adore et qui ne pense qu’à toi.

Georges.

* Le capitaine MOULIN, commandant de l'Erom 80, disparait le 13 juin 1954, lors d'une mission de reconnaissance à bord d'un Bearcat , sans doute touché par la DCA. Les recherches, immédiatement lancées, ne donneront aucun résultat.

Retour à Bach Mai le 21 juin 1954